Cedeao : comment retrouver une crédibilité mise à mal (Tribune -Kabiné Komara)

Alors que s’ouvre ce 12 décembre un sommet crucial de la Cedeao, il est essentiel de rappeler les principes de bonne gouvernance afin d’éviter l’irruption des militaires dans le champ politique.

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) fête ce mois-ci le vingtième anniversaire de son protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance. Au cours de ces deux décennies, la sous-région et le continent tout entier ont enregistré de nombreuses évolutions dans le domaine de la gouvernance.

Vagues de « démocratisation »

Pour assurer l’efficacité d’un instrument normatif comme ce protocole, il est important de porter un regard rétrospectif pour voir ce qui a bien fonctionné et ce qu’il faudrait améliorer. Les récentes prises du pouvoir par les militaires enGuinéeet auMali, sur fond de contestations populaires des régimes déchus, offrent une raison de plus pour se consacrer à un tel exercice. Il convient de rappeler d’abord qu’à la fin de la Guerre froide, au début des années­ 1990, plusieurs pays africains ont adopté le multipartisme après des années de parti unique et de régimes autoritaires. En Afrique de l’Ouest, cette vague a commencé par la Conférence nationale au Bénin, tenue du 19 au 28 février 1990. Un des résultats majeurs de cette conférence a été l’adoption d’une nouvelle Constitution qui consacre le multipartisme et la limitation à deux des mandats présidentiels, d’une durée de cinq ans chacun. Plusieurs autres pays de la sous-région adopteront par la suite des formules similaires.

Avec ces vagues de « démocratisation », les militaires qui avaient investi la sphère politique se sont retirés dans les casernes pour se consacrer à leur mission républicaine de protection de l’intégrité territoriale de leurs pays respectifs. Cependant, vers la fin de la décennie 1990, avec des guerres civiles et des coups d’État militaires (surtout en Sierra Leone, Liberia et Guinée-Bissau pour l’Afrique de l’Ouest), les organisations régionales africaines ont adopté un certain nombre d’instruments sur la gouvernance afin de protéger les processus démocratiques de plus en plus menacés et d’en consolider les acquis.

Réhabiliter la déclaration de Lomé

Ainsi, le 10 décembre 1999, la Cedeao a adopté, dans la capitale togolaise, Lomé, un protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Moins d’une année plus tard, dans la même capitale, le trente-sixième sommet de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA) a adopté, le 12 juillet 2000, une déclaration contre les « changements anticonstitutionnels » de gouvernement, communément appelée Déclaration de Lomé. C’est le tout premier instrument continental contre les prises du pouvoir par les armes.

LES PRINCIPES DE LA BONNE GOUVERNANCE, DE LA TRANSPARENCE ET DES DROITS DE L’HOMME SONT ESSENTIELS POUR GARANTIR DES GOUVERNEMENTS REPRÉSENTATIFS ET STABLES.

Pour justifier cette déclaration, les chefs d’État africains rappellent alors l’évolution politique récente du continent avec des cas de coups d’État militaires. Ils regrettent que ces évènements surviennent au moment où les populations commencent à s’habituer à l’État de droit et à la gouvernance démocratique. Ils reconnaissent surtout que « les principes de la bonne gouvernance, de la transparence et des droits de l’homme sont essentiels pour garantir des gouvernements représentatifs et stables, et peuvent contribuer à la prévention des conflits ».

Ce courageux constat des chefs d’État fait une bonne lecture de la situation. En effet, ce sont souvent les actions condamnables des gouvernants qui donnent des arguments aux militaires pour justifier leur irruption dans le champ politique. C’est ce qui a amené la Cedeao à adopter en décembre 2001, un protocole additionnel sur la gouvernance. Ce protocole, dès son premier article, stipule l’interdiction de tout changement anticonstitutionnel, de même que tout mode non démocratique de maintien du pouvoir. Au moment de l’adoption de celui-ci, l’expérience montrait déjà que certains chefs d’État attendaient la fin de leurs mandats constitutionnels en cours pour introduire des changements à leur constitution en vue de se maintenir au pouvoir.

Plaidoyers diplomatiques

Il fallait donc éviter l’abus de modifications des lois fondamentales de ces États membres, notamment celles liées aux élections, comme la constitution et les lois électorales. C’est dans cette logique que l’article 2 de ce protocole prévoit qu’ « aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six mois précédant les élections sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ». C’est sur la base de cette disposition que la Cedeao a pris la décision salutaire de suspendre le Niger de ses organes de décisions.

DE NOMBREUX CITOYENS DE LA RÉGION ÉPROUVENT UN RESSENTIMENT VIS-À-VIS DES « TIÈDES » PRISES DE POSITIONS DE LA CEDEAO SUR LES RÉCENTS COUPS D’ÉTAT MILITAIRE

En effet, le président nigérien d’alors, Mamadou Tandja, avait fait modifier la constitution de son pays par un référendum controversé en août 2009 alors que son second mandat arrivait à échéance en décembre de la même année, soit moins de six mois de la fin de son mandat. C’est d’ailleurs pour éviter de tomber dans une situation similaire, que d’autres leaders, comme l’ancien président guinéen Alpha Condé, ont opéré leur changement bien avant cette période de six mois, rendant ainsi difficile l’intervention de l’organisation sous-régionale. Cette dernière, faute d’instruments juridiques applicables dans un tel contexte s’est résolue à faire des plaidoyers diplomatiques appelant à la retenue et à la recherche de consensus.

Ce faisant, la Cedeao s’est exposée à l’incompréhension et aux critiques des acteurs politiques, des sociétés civiles et des populations en général qui ne comprennent pas forcément ces « élasticités juridiques » ; ce qui les amènent à ne pas se reconnaître dans l’attitude que l’Organisation a pu afficher en pareille circonstance. C’est ce qui explique aussi, en grande partie, le ressentiment de nombreux citoyens de la région vis-à-vis des « tièdes » prises de positions de la Cedeao sur les situations récentes de coup d’État militaire dans des pays comme la Guinée.

Tirer les leçons du passé

Dans notre obligation de tirer les leçons du passé, il est important que ce sommet se penche sur la nécessité d’adapter le protocole additionnel aux réalités du moment. Une disposition qui interdirait carrément tout dépassement consécutif de deux mandats irait dans le bon sens. Il est connu que cela a été tenté sans succès au sommet de mai 2015 de la Cedeao, mais les temps ont changé.

Aujourd’hui, à l’exception de la Gambie, les constitutions de l’ensemble des 15 États membres de la Cedeao prévoient la limitation des mandats à deux. La Guinée et le Mali, dont les constitutions sont suspendues ou dissoutes, vont certainement maintenir la limitation des mandats dans leurs nouvelles constitutions. Le projet de constitution gambienne qui avait été présenté au parlement en septembre 2020 prévoit aussi cette limitation.

Loin de prétendre qu’une telle mesure serait une panacée, nous demeurons convaincu qu’elle contribuera à la promotion de l’alternance démocratique dans la sous-région et donnera à la Cedeao un mandat clair pour agir contre toute nouvelle tentative allant à l’encontre de ce principe. Alors et alors seulement, la Cedeao, organisation sous-régionale pionnière en Afrique et qui a tant fait dans le domaine de l’intégration économique de ses pays membres, jouira pleinement de la confiance et du soutien de ses 400 millions d’habitants et surtout de sa jeunesse qui a tant soif de démocratie et de bonne gouvernance.

Par Kabiné Komara,

Ancien Premier ministre guinéen, chef de la Mission d’observation électorale de la Cedeao au Burkina

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